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L’infraction pénale n’est pas la seule limite du droit d’expression syndicale

Le 31 juillet 2020
L’infraction pénale n’est pas la seule limite du droit d’expression syndicale
Un fonctionnaire exerçant des responsabilités syndicales n’en est pas affranchi pour autant de toute obligation au regard du devoir de réserve, même s’il dispose à cet égard d’une liberté d’expression particulière.

Article publié à l'AJCT juillet aout 2020, p. 377.

Si les représentants syndicaux bénéficient d’une plus grande liberté d’expression que la communauté des agents publics, celle-ci n’est cependant pas illimitée. Elle doit être mesurée alors même que ces agents s’expriment dans le cadre de leur mandat et de leurs fonctions au sein des organismes sociaux et que leurs propos ne seraient pas constitutifs d’une infraction pénale. La démesure caractérise un manquement au devoir de réserve auquel demeure astreint le représentant syndical.

  

« Si les agents publics qui exercent des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d'expression particulière qu'exigent l'exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu'ils représentent, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques. En particulier, des propos ou un comportement agressifs à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un autre agent sont susceptibles, alors même qu'ils ne seraient pas constitutifs d'une infraction pénale, d'avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire (…)  de tels propos et comportement « étaient susceptibles de justifier, même s'ils étaient le fait d'une représentante du personnel dans le cadre de l'exercice de son mandat et alors même qu'ils ne caractériseraient pas une infraction pénale, une sanction disciplinaire … » (CE, 7ème et 2ème chambres réunies, 27 janvier 2020, n° 426569 et 426571).

 

 

Observations :

 

Deux fonctionnaires municipales, adjointes administratives représentantes du personnel, ont été sanctionnées respectivement d’une exclusion temporaire de fonctions de deux jours et d’un blâme pour avoir, lors d’une réunion du comité technique, manqué à leur devoir de réserve en adoptant une attitude et tenant des propos agressifs à l’encontre de la Directrice Générale des Services dont elles contestaient la présence à cette instance.

 

Les intéressées ont contesté ces sanctions devant le Tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel, qui ont rejeté leurs requêtes.

 

Elles se sont alors pourvues en cassation devant le Conseil d’Etat, faisant valoir, en premier lieu, que les juges d’appel auraient commis une erreur de droit en considérant que pouvaient être fautifs des propos tenus dans le cadre d’une représentation syndicale et ne présentant pas de caractère injurieux ou diffamatoire, en second lieu, qu’ils auraient fait une qualification inexacte des faits en considérant que leurs propos avaient excédé les limites de la liberté d’expression syndicale.

 

Le recours a été rejeté.

 

 Cette décision apporte d’utiles précisions sur la conciliation du devoir de réserve avec la liberté d’expression spécifique reconnue aux titulaires de mandats syndicaux tout en rappelant la vigueur de ce devoir.

 

 Conciliation du devoir de réserve et de la liberté d’expression des titulaires de mandats syndicaux

 Le devoir de réserve est une obligation d’origine jurisprudentielle (à l‘exception de certaines fonctions régaliennes, telles que magistrats, policiers ou militaires pour lesquelles l’obligation est inscrite dans le statut particulier) érigée en principe général du droit, qui institue une limite à la liberté d’expression reconnue aux fonctionnaires par la loi statutaire (art. 10 de la loi du 13 juillet 1983).

 

Selon la doctrine et la jurisprudence, les titulaires de mandats syndicaux ou de représentation au sein des organismes consultatifs relatifs à l’organisation et au fonctionnement des services (articles 8 et 9 de la loi du 13 juillet 1983) disposent d’une liberté d’expression particulière, qui assouplit leur devoir de réserve.

 L’activité syndicale peut en effet impliquer et justifier de la vivacité dans le ton et une certaine agressivité (v. Juriscl. Fonction publique, fasc. 762 Liberté d’expression des agents publics, n° 46).

 Mais elle doit toutefois demeurer dans certaines limites.

 

Le mandat syndical n’exonère en effet pas, en tant que tel, de toute obligation de réserve.

 Ces limites sont régulièrement rappelées par la jurisprudence qui considère que l’exercice du droit syndical doit se concilier avec le respect des obligations générales nécessaires au bon fonctionnement du service public (CE Ass. 28 janvier 1972, n° 75193, 75223 et 75224 ; 27 mai 1991, OPHLM de la communauté urbaine de Lille, n°111790).

 Ainsi, sont sanctionnables des propos qui, « tant par leur nature que par la violence de leur expression sont incompatibles avec l’obligation de réserve, alors même que (l’intéressé) exerçait un mandat syndical » (CAA Lyon, 15 décembre 2009, n° 09LY00567).

 

Plus particulièrement, la liberté d’expression particulière attachée à l’exercice d’une fonction syndicale est circonscrite à la défense des intérêts professionnels, ce qui exclue les critiques sans lien avec ces intérêts ou les attaques personnelles (CE 23 avril 1997, n° 144038 ; 12 décembre 1997, n° 134341). 

 

 En l’espèce, à l’encontre de cette jurisprudence, les deux demanderesses ont tenté de « faire juger que les seules limites à la liberté d’expression syndicale sont les infractions pénales » (concl. Pellissier, Arianeweb), à savoir les délits de diffamation ou d’injure.

 Cette tentative était vouée à l’échec.

 En effet, il a toujours été considéré que, si l’exercice d’un mandat syndical autorisait une liberté de ton et de propos particulière, ce n’était que, d’une part, en conciliation avec le respect des obligations générales nécessaires au bon fonctionnement du service, d’autre part dans le seul cadre de défense des intérêts professionnels.

 

Tel n’était pas le cas en l’espèce, les fonctionnaires s’étant livrées à des attaques excessives et purement personnelles contre la Directrice Générale des Services.

 

Il avait été déjà jugé en ce sens par une Cour administrative d’appel (CAA Nantes 6 juin 2013, n° 12NT00558) que des faits allant au-delà de la critique admissible de la part d’un agent titulaire d’un mandat syndical justifiaient une sanction disciplinaire, indépendamment de la qualification qu’ils pouvaient recevoir pénalement.

 Le rejet du pourvoi sur le moyen de l’erreur de droit confirme fermement les limites ainsi posées.

 

 Rappel de la rigueur du devoir de réserve

 

L’obligation de réserve contraint les fonctionnaires à observer une retenue dans le contenu et la forme d’expression de leurs propos.

 Même si la doctrine reconnaît que la notion s’apprécie in concreto, au cas par cas, et s’illustre plus qu’elle ne se définit (Alain Plantey, La fonction publique, LITEC, n° 219, p. 120 ; Christine Bréchon-Moulènes, Obligation de réserve et liberté syndicale, AJDA 1973, p. 339 ; Jean Rivéro, Sur l’obligation de réserve, AJDA 1977, p. 586) on peut raisonnablement poser, de manière générale, que le devoir de réserve impose au fonctionnaire de ne pas porter atteinte à l’image de l’administration :

 -        en exprimant ses opinions de manière excessive, sur le fond ou dans la forme ;

-        en la mettant publiquement en cause, soit de manière générale, soit en visant ses responsables.

 

La jurisprudence offre de nombreuses illustrations de violation de l’obligation de réserve en raison de la forme des propos tenus par un fonctionnaire.

 

Ainsi, ont été considérés comme contrevenant au devoir de réserve des propos injurieux (CE 9 juillet 1965, Pouzenc, AJDA 1966, p. 179, «injures proférées (…) dans les bureaux de la mairie en présence du maire » ; CAA Douai, 6 décembre 2000, n° 98DA12073 ; CAA Marseille 15 janvier 2008, n° 05MA02639 ; CAA Lyon 7 juin 2011, n° 10LY00565 ; CAA Nancy 22 septembre 2016, n° 15NC00771 ; CAA Nantes 21 janvier 2016, n° 14NT02263), des termes outrageants (CE 21 février 2013, n° 344462), outranciers (CAA Bordeaux 26 juin 2007, n°05BX00679 ; 24 janvier 2017, n°15BX00543) ou discourtois (CAA Nancy 1er juin 2006, n° 04NC00679), des faits caractérisés par « la violence de leur expression » (CAA Bordeaux 4 novembre 2008, n° 07BX01721)…

 

 En l’espèce, les arrêts commentés font état de « propos particulièrement irrespectueux et agressifs à l’égard de la Directrice Générale des Services »

 Les conclusions du Rapporteur public précisent que les intéressées « en dépit des interventions du Président de séance (les) invitant à adopter un comportement courtois, (elles ont) tenu, tout au long de la réunion, des propos irrespectueux et agressif », en « ne lui laissant pas dire un mot, parlant d’elle de façon méprisante à la troisième personne du singulier, comme si elle n’était pas là » (Conclusions de M. Pellissier).

 L’effet fut tel sur la Directrice qu’elle en quitta la réunion avant son terme, en pleurs.

 

Au regard de ces circonstances et de la jurisprudence précitée les propos et l’attitude des deux fonctionnaires semblaient bien caractériser une atteinte à leur obligation de réserve, de même qu’à leur devoir de respect hiérarchique et pouvaient justifier une sanction disciplinaire.

  

Stéphane Penaud

Avocat à la Cour

SCP KRUST - PENAUD

 

 

Rappel pratique : Un fonctionnaire exerçant des responsabilités syndicales n’en est pas affranchi pour autant de toute obligation au regard du devoir de réserve, même s’il dispose à cet égard d’une liberté d’expression particulière.

Il doit donc veiller à la mesure dans ses propos et agissements vis-à-vis de son administration et de sa hiérarchie et notamment s’interdire les commentaires excessifs ou insultants ainsi que les attaques personnelles.

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