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Absence des professeurs non remplacés : responsabilité de l'Etat, mais quelle indemnisation ?

Le 22 mars 2024
Absence des professeurs non remplacés : responsabilité de l'Etat, mais quelle indemnisation ?

Le journal Libération revient sur l'audience du tribunal administratif de Cergy Pontoise au cours de laquelle maître Delphine KRUST a plaidé pour 9 familles de collèges de Villeneuve La Garenne qui demandent la condamnation de l'Etat à raison des centaines d'heures de cours perdues par leurs enfants du fait des absences de professeurs non remplacés.
par Elsa Maudet
publié le 19 mars 2024 à 21h47
«Cette action ne devrait pas exister.» Face aux juges, Me Delphine Krust insiste sur l’anormalité de la situation : «L’Etat impose un enseignement obligatoire, qui n’est pas fait pour assurer le confort des élèves mais bien l’avenir de la nation. Et l’Etat n’assure pas les obligations qu’il s’impose lui-même.» Ce mardi 19 mars, douze requêtes étaient examinées par le tribunal administratif de Cergy (Val-d’Oise), venant de parents dont les enfants ont raté des dizaines et des dizaines d’heures de cours. Objectif : faire condamner l’Etat pour n’avoir pas assuré le remplacement de professeurs absents.
«De la sixième au deuxième trimestre de troisième, ma fille a eu 632 heures en moins, dont 105 heures en français, 86 heures en anglais, 75 heures en histoire-géo», déroule Sophie, l’une des mères d’élèves présentes ce matin-là. Comme elle, deux autres représentantes de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), dont les enfants sont ou étaient scolarisés au collège Georges-Pompidou de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), ont fait le déplacement. Le fils d’Amina Tsila, lui, n’a eu cours de technologie que durant deux mois et demi en cinquième. Son tout premier cours de musique, il ne l’a eu qu’en avril de l’année de quatrième. «Au début de la quatrième, il n’avait pas de SVT, de techno, d’arts plastiques», poursuit-elle. Dans un autre collège de Villeneuve-la-Garenne, Edouard-Manet, la fille de Dounia n’a eu que quatre heures de SVT durant toute son année de quatrième.
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Nadine Hue est là aussi ce matin, par erreur puisque sa fille dépend du rectorat d’Amiens et non de celui de Versailles, attaqué ce jour, mais elle a décidé de prendre l’audience comme un galop d’essai. Sa fille, «excellente élève» qui rêve de travailler dans le cinéma, a loupé deux trimestres de spécialité cinéma-audiovisuel l’an passé, en première, là encore pour cause de non remplacement. Résultat, elle n’a pas de note et doit s’asseoir sur les BTS très sélectifs auxquels elle aspirait. «Comme elle est boursière échelon 6, les BTS c’était bien, parce que ce n’est pas payant, raconte Nadine Hue. On a regardé les autres systèmes, moins sélectifs, mais ce sont des écoles privées à 8 000 euros l’année.» Impensable pour cette mère célibataire au RSA.
«Tout a changé le jour où on a fait le recours»
Les situations présentées devant le tribunal administratif, dénoncées par Me Krust mais aussi, pour trois d’entre elles, par Joyce Pitcher et Louis le Foyer de Costil, au nom du collectif #OnVeutDesProfs, s’échelonnent entre 2019 et 2021, et concernent également des établissements de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise) et Cergy. Avant d’en arriver là, les parents ont alerté à tous les niveaux. «On a fait plein de courriers, à la direction académique, au rectorat, on a bloqué l’établissement, on a été reçus en audience par la direction académique… explique Amina Tsila. Tout a changé le jour où on a fait le recours : on a eu tous les profs nommés.»
«Plus on fait de bruit et plus on est entendus. La masse silencieuse ne permet pas de bénéficier normalement de l’instruction à laquelle nos enfants ont droit», poursuit Nadia, elle aussi mère d’élève et représentante FCPE au collège Pompidou de Villeneuve-la-Garenne, qui rappelle amèrement que le ministère de l’Education nationale avait rendu 75 millions d’euros à l’Etat en 2021, quand son fils manquait de profs. «On est en REP [réseau d’éducation prioritaire] et ce ne sont pas forcément les élèves les plus demandeurs qui sont entendus. Nous, on a pu faire une action. Mais il y a tous ces pauvres enfants qui ont été privés de prof de français et qui n’ont pas pu faire de recours parce qu’ils ne savent pas faire», souligne Sophie. Les frais d’avocat ont été pris en charge par la FCPE92 pour les uns, par un «tiers financeurs» pour les autres. Et tous ne demandent pas la même chose.
«Le symbolique n’est pas de nature à faire réagir l’Etat»
«Notre action est symbolique, on est là pour tous les parents du collège Pompidou, pour dénoncer le manquement de l’Education nationale, faire bouger les choses et qu’à l’avenir tous les établissements puissent avoir les heures dues», explique Nadia. Les requérants soutenus par la FCPE92 ne demandent qu’un euro symbolique par heure de cours perdue. Du côté de Me Pitcher et Me le Foyer de Costil, on réclame 50 euros par jour d’école perdu en primaire, 10 euros par heure dans le second degré. «Le symbolique n’est pas de nature à faire réagir l’Etat», a pointé Me Pitcher devant la cour.
Pour montrer le caractère national du manque de remplaçants, l’avocate a déposé, en l’espace de deux ans, 340 requêtes dans des tribunaux administratifs, contre divers rectorats. «Cela touche toutes les matières, les matières qu’on considère comme primordiales comme celles qu’on considère comme mineures, a exposé Me Krust devant la cour. Certains diront “ce n’est pas très grave de pas avoir de musique”. Mais ce sont des enfants qui ne vont pas au conservatoire. Ils subissent une double pénalité, sociale.»
Le rectorat de Versailles, mis en cause ce jour, n’a pas envoyé de représentant ni même produit de mémoire en défense pour la plupart des requêtes, à l’exception de deux, pour lesquelles il a argué la durée limitée des absences des enseignants. Le rapporteur public, lui, a proposé à la chambre de retenir, pour les douze requêtes, la responsabilité de l’Etat et une indemnisation forfaitaire de 150 à 200 euros par année. La décision sera rendue d’ici trois à quatre semaines.

Des parents poursuivent l’Etat pour le non-remplacement des profs absents : «Il faut dénoncer le manquement de l’Education nationale» – Libération (liberation.fr)