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Le devoir de réserve des fonctionnaires : selon que vous serez puissant ou misérable …

Le 18 décembre 2013
Le devoir de réserve constitue une obligation limitant la liberté d’expression reconnue aux fonctionnaires par la loi statutaire.

Le devoir de réserve constitue une obligation limitant la liberté d’expression reconnue aux fonctionnaires par la loi statutaire.

 

Elle est (sauf exception, comme pour les fonctionnaires de police ou des armées)  d’origine jurisprudentielle et son inclusion dans le statut de 1983 a été rejetée.

 

De fait, les contours de cette obligation sont assez mouvants et varient selon les fonctions de l’agent, son comportement, les circonstances de fait etc.

 

On peut néanmoins en esquisser les principales caractéristiques et en donner quelques illustrations significatives.

 

D’une manière générale, le devoir de réserve peut se définir comme l’obligation pour le fonctionnaire de faire preuve de mesure tant dans le contenu que dans la forme de sa parole lorsqu’elle concerne le fonctionnement de son administration.

 

Sont ainsi sanctionnés :

 

-        les propos injurieux ou violents (CE, 9 juillet 1965, Pouzenc, AJDA 1966, 179 ; CAA Bordeaux, 4 novembre 2008, n° 07BX01721) ;

-        la critique publique par l’agent de la gestion ou du fonctionnement de son administration (CE, 3 juillet 1981, n° 16496 ; 28 juillet 1993, Rec. P. 248 ; CAA Marseille, 7 mars 2006, n° 02MA02259 ; CE, 10 mars 1971, n° 78156) ;

-        l’exposition publique de ses différends avec son administration (CE, 13 mars 2006, n° 279027 ; CAA Marseille, 30 mars 1999, n° 97MA011861 ;

-        la mise en cause personnelle de membres de l’administration (CE, 29 juillet 1998, n° 127348 ; 28 avril 1989, Rec. P. 761).

 

Ne commet en revanche aucune faute l’agent qui s’exprime publiquement, même de manière polémique, sans mettre en cause sa collectivité ou les fonctions qu’il y occupe (TA Dijon, 10 novembre 2004, n° 031942) ou celui dont les propos, rapportés par voie de presse, n’excèdent pas le droit de libre commentaire (CE, 1er juin 1994, n° 150870).

 

On avait pu déceler depuis les années 1970 un mouvement d’assouplissement de la notion.

 

Ainsi, en premier lieu, plusieurs voix de la doctrine considéraient qu’elle prêtait le flanc à la critique de limiter au profit des gouvernements la liberté d’opinion des fonctionnaires (J. Rivéro, Sur l’obligation de réserve, AJDA 1977, 586), voire pouvait apparaître comme dépassée ( Christine Bréchon-Moulènes, Obligation de réserve et liberté syndicale, AJDA 1973, 339).

 

Bien plus, ces 20 dernières années, la parole des fonctionnaires s’est libérée et leur expression publique, par la publication sous leur nom du récit de leur expérience professionnelle, sans rien en celer, a connu un développement important, sans que ces publications aient fait encourir à leurs auteurs les foudres disciplinaires de leur hiérarchie.

 

Cette tendance, relevée par la doctrine (Odon Vallet,  Devoir de réserve et liberté d’expression, Rev. adm. 1993, 533) a offert ces dernières années de nombreux exemples, qu’il s’agisse des ouvrages publiés par un médecin chef de prison, un juge, un procureur, un général ou encore un ancien directeur de cabinet du premier ministre, dans lesquels les auteurs exprimaient leurs critiques, parfois de manière vive, contre l’administration, leurs collègues ou des responsables politiques.

 

Pas un des auteurs en question n’a fait l’objet de poursuites disciplinaires, tous ayant normalement, et pour certains brillamment, poursuivi leur carrière.

 

Toutefois la mansuétude de l’administration semble avoir été réservée à des agents haut placés, bénéficiant déjà d’une forte notoriété médiatique.

 

En effet, plusieurs affaires récentes ont montré toute la vigueur de l’obligation de réserve avec les sanctions disciplinaires, validées par le juge administratif, prononcées contre une policière de rang de la PAF, un gendarme ou une administratrice territoriale.

 

Bien plus, dans ce dernier cas, la sanction a été validée par le Tribunal administratif, alors même qu’il s’agissait d’un ouvrage d’imagination, publié sous pseudonyme et dans lequel la collectivité de l’agent n’était pas normalement identifiable (TA Bordeaux, 31 décembre 2012, n°1003360).

 

Il est ardu de trouver une cohérence dans l’attitude de l’administration qui, surtout au niveau de l’Etat, semble laisser libre parole à ses plus hauts fonctionnaires, et ce quel que soit le ton de leurs écrits et alors même qu’ils abordent des questions et des faits particulièrement sensibles, alors que le fonctionnaire de base, ou territorial, est plus volontiers contraint au silence et interdit de critique et d’ironie.

 

Dernier exemple de cette différence de traitement, la bande dessinée, récemment portée à l’écran, « Quai d’Orsay », co-écrite par un diplomate, qui a révélé sa participation à l’ouvrage sans suite disciplinaire.

 

L’exemple vient de haut, dès lors qu’un ancien Ministre de la culture vient de publier un livre relatant par le menu les dessous du Conseil des Ministres et des voyages officiels, sans que quiconque ne s’en émeuve.

 

La chose n’est pas nouvelle et démontre, si besoin était, l’intemporalité des morales de la Fontaine : «  Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »  

 

Maître Stéphane Penaud

Actu Experts Elus locaux, nov. 2013, numéro spécial Congrès des Maries de France 2013

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