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Manquement à l'obligation de l'éducation nationale de dispenser des heures d'enseignement obligatoire aux élèves et responsabilité de l'État.

Le 29 juillet 2017
Absence de remplacement des professeurs absents et responsabilité de l'Education nationale

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans un jugement du 21 juillet 2017, a condamné l'État à réparer le préjudice subi par un élève de troisième et sa famille du fait du non remplacement des absences de professeurs durant son année scolaire au collège.


Ce dernier s'était vu en effet privé de l'instruction de 13 heures d'enseignement de français, huit heures d'enseignement d'histoire géographie, deux heures de mathématiques, 30 heures d'éducation physique et sportive de neuf heures d'espagnol du fait de l'absence de ses professeurs qui ne furent pas remplacés, malgré les multiples demandes de ses parents et des fédérations de parents d'élèves.


Lassés, ceux-ci ont sollicité l'indemnisation du préjudice subi par eux-mêmes et leur fils à raison  d'un euro par heure de cours non assurées et, face a l'inertie de l'éducation nationale, ont saisi le tribunal administratif d'une demande de condamnation de l'État.


En effet, l'État remplit une mission essentielle d'éducation des élèves jusqu'à 16 années, dans le cadre d'un programme éducatif imposé dans les matières et la formation sont prescrits par les textes (article L.121-1 du code de l'éducation).


A défaut, il manque à ses obligations d'enseignement, d'éducation et de transmission des connaissances et méthodes de travail aux élèves.


Depuis plus de 30 ans, l'éducation nationale souffre cependant d'une insuffisance de moyens, caractérisée notamment par un flux tendu d'enseignants, l'absence de remplacement des personnels éducatifs étant l'une des caractéristiques principales.


Il s'agit là pour le juge administratif d'une faute de service de nature à engager la responsabilité de l'État qui ne remplit pas ses missions d'éducation.


Le Conseil d'état a ainsi jugé dans un arrêt de principe du 27 janvier 1988 (requête n° 64077) que l'administration commet une faute en n'assurant pas le remplacement des professeurs absents : 


" Considérant que la mission d’intérêt général d’enseignement qui lui est confiée impose au MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE l’obligation légale d’assurer l’enseignement de toutes les matières obligatoires inscrites aux programmes d’enseignement tels qu’ils sont définis par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur selon les horaires réglementairement prescrits ; que le manquement à cette obligation légale qui a pour effet de priver, en l’absence de toute justification tirée des nécessités de l’organisation du service, un élève de l’enseignement considéré pendant une période appréciable, est constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ; 

Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’enfant X... a été privé de six heures d’enseignement hebdomadaire dont il devait bénéficier au cours de l’année scolaire 1978-1979 ; que l’Etat doit être déclaré responsable des conséquences dommageables pour l’enfant X... de la carence des services d’enseignement ; que le manque de crédits budgétaires allégué par le MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE ne saurait, en tout état de cause, exonérer l’Etat de la responsabilité qui lui incombe ; 


Considérant que le dommage subi par l’enfant X... est certain et direct ; que le tribunal administratif n’a pas fait, dans les circonstances de l’espèce, une excessive évaluation de la réparation due au requérant en raison des troubles dans l’éducation de son enfant en lui allouant une indemnité de 1 000 F". 


Puis par les juges du fond : 


«La mission d'intérêt général d'enseignement qui lui est confiée impose au ministre de l'éducation nationale l'obligation légale d'assurer l'enseignement de toutes les matières obligatoires inscrites aux programmes d'enseignement tels qu'ils sont définis par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur selon les horaires réglementairement prescrits; que le manquement à cette obligation légale qui a pour effet de priver, en l'absence de toute justification tirée des nécessités de l'organisation du service, un élève de l'enseignement considéré pendant une période appréciable, est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État » (notamment TA, VERSAILLES, 03.11.2003, M. K. c/ Recteur de l'académie de Versailles, n° 0104490). 


C'est dans ce cadre que Monsieur et Madame Bollérot ont engagé la responsabilité de l'éducation nationale à fin de faire réparer le préjudice subi par leur fils à raison de l'absence de cours dispensés du fait du non remplacement de ses professeurs de son établissement en classe de troisième, pour 96 heures durant l'année.


Le jeune élève a subi un préjudice direct et certain car, privé d’un nombre considérable d’heures de cours et d’un rythme régulier d’enseignement, sa scolarité a été perturbée le privant d’une partie des connaissances qui lui auraient été normalement transmises si les cours avaient eu lieu.

 

D'ailleurs, de nombreuses études scientifiques sur les rythmes biologiques pour penser que les élèves ont besoin d’un rythme régulier d’apprentissage et que ces cours non-assurés provoquent des ruptures de rythmes du travail, de l’attention et de la motivation de l’élève au détriment de son développement cognitif et culturel. 


Ce n’est qu’au prix des efforts individuels fournis tant par l'élève que par ses parents pour lui permettre de rattraper le retard pris en classe que l’élève a pu poursuivre son cursus. 


Le tribunal a reconnu la réalité de ce préjudice et l'a indemnisé, condamnant l'Etat à le réparer pour l'euro symbolique par heure manquée.


Cette décision, désormais habituelle dans son principe, demeure pourtant rare compte tenu du peu de cas d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour non remplacement des enseignants.


 En effet, de telles procédures nécessitent un effort certain des intéressés pour une indemnisation somme toute symbolique, face à une administration aussi inerte que peu coopérative.


On peut toutefois penser que l'introduction de l'action collective par la loi de modernisation de la Justice du 21 ème siècle du 18 novembre 2016 et son décret d'application n°2017-888 du 6 mai 2017 ouvrira la voie à une procédure enfin plus efficace pour faire sanctionner ces manquements graves de l'éducation nationale à ses obligations éducatives et changer ses méthodes, malgré les contraintes budgétaires qu'elle nous rappelle à l'envi.


Delphine KRUST 

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