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Proposition de loi pour redéfinir le délit de prise illégale d'intérêts

Le 16 juin 2010
Proposition de loi pour redéfinir le délit de prise illégale  d'intérêts

Le Sénat examinera le 24 juin 2010 une proposition de loi portant modification des éléments constitutifs du délit de prise illégale d’intérêts définis à l’article 432-12 du Code pénal.

 

Ce texte sanctionne, dans sa version en vigueur, « le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement » d’une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

 

Cette incrimination, fort ancienne (le délit était déjà prévu par l’article 175 du code pénal de 1810 et trouve ses origines dans des dispositions d’inspiration comparable du droit romain et de l’ancien droit) est sous tendue par le souci de garantir, de manière préventive, toute confusion entre l’intérêt public dont l’élu ou le fonctionnaire a la charge au titre de ses fonctions et ses intérêts privés.

 

Si le législateur a prévu des exceptions à cette prohibition du conflit d’intérêts, elles demeurent limitées, tant en ce qui concerne les actes que les collectivités concernés et ne remettent aucunement en cause la rigueur du principe initial.

 

Cette rigueur a été confirmée par la jurisprudence qui a fait de la prise illégale d’intérêts un véritable délit obstacle, dont l’objet consiste à sanctionner la seule prise d’intérêts, indépendamment de toute volonté frauduleuse, d’enrichissement personnel et même si, dans un élan altruiste, l'auteur a voulu rendre service à la collectivité (Cass crim., 15 décembre 1905, D. 1907, I, 195 ; Cass. crim., 22 avril 1915, D. 1921, I, 139 ; Trib. Corr. Poitiers, 19 mars 1980, JCP 1980, ll, note Lestang).

 

Il était compréhensible que les élus, tout particulièrement concernés, se soient inquiétés des risques pénaux qu’ils pouvaient encourir pour une simple imprudence.

 

Depuis plusieurs années a ainsi été critiquée la définition, jugée trop large, de l’intérêt pris, le texte d’incrimination n’exigeant qu’un « intérêt quelconque ».

 

Récemment, en application des dispositions de l’article 432-12, un maire et plusieurs de ses adjoints ont été condamnés par le juge pénal au motif qu’ils avaient voté en conseil municipal des subventions à une association, une maison locale pour l’emploi, dont ils assuraient la direction de plein droit, en  qualité de représentants de la collectivité :  « Qu’en effet, l’intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu’ils président entre dans les prévisions de l’article 432-12 du Code pénal ; qu’il n’importe que ces élus n’en aient retiré un quelconque profit et que l’intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l’intérêt communal ». (Cass. Crim. 22 octobre 2008, 08.82.068)

 

Profondément traumatisés par cette condamnation, les élus locaux ont souhaité voir restreindre la portée de l’incrimination, le développement de l’intercommunalité et de la mutualisation des services entre les collectivités ayant augmenté les risques de conflit entre les différents intérêts qu’ils peuvent représenter dans ce cadre.

 

Leurs craintes ont d’ailleurs pu être attisées par certains commentateurs, parfois alarmistes (La lettre du Cadre Territorial 15 avril 2010, « Prise illégale d’intérêts : alertez vous élus ! », Levent Saban).

 

 

C’est dans ces circonstances qu’il est proposé par les Sénateurs de remplacer le terme légal « intérêt quelconque », jugé trop imprécis, par la notion d’intérêt « personnel distinct de l’intérêt général », ce qui réduirait ainsi le champ d’application de l’infraction.

 

 

A cet égard, on peut incidemment se demander si le texte actuel est conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, tout particulièrement au principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et impose au législateur de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis (rappelé dernièrement  parle Conseil constitutionnel décision 2010-604 DC du 25 février 2010 sur la loi  renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public). Il n’est pas exclu que le Conseil constitutionnel soit saisi de cette interrogation, par une question prioritaire de constitutionnalité, selon la nouvelle procédure de l’article 61-1 de la Constitution.

 

 

Conscients de s’exposer à la critique, traditionnelle lorsque le Législateur modifie une loi pénale l’affectant (mais le reproche d’une auto amnistie est-il condamnable ?), les Sénateurs ont tenu à solennellement réaffirmer la nécessité de conserver le délit de prise illégale d’intérêts comme un élément de confiance dans la gestion publique par les citoyens, tout en justifiant la réforme qu’ils proposent par l’impérieuse exigence de confiance des élus locaux dans la loi.

 

Il n’est toutefois pas assuré que, malgré ces précautions oratoires, le texte soit voté en l’état, le Gouvernement ayant déjà fait savoir qu’il n’y était pas favorable, à raison, justement, de l’hostilité de l’opinion publique à toute tentative de dépénalisation de la vie publique.

 

L’utilité d’une telle réforme pour les élus n’est en outre plus nécessairement d’actualité, dans la mesure où la sanction qu’ils redoutaient le plus, à savoir la peine automatique d’inéligibilité de l’article L. 7 du code électoral  a été abrogée par le Conseil Constitutionnel le 11 juin 2010 (Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010).

 

 

Ne faudrait-il pas alors s’en remettre à leur prudence plutôt que d’ouvrir des brèches dans les frontières que les anciens ont sagement érigées entre l’intérêt public et les intérêts privés ?

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