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"Comment être élu quand on est inéligible" Slate magazine, C. Pudlowski

Le 26 février 2010
 

Comment être élu quand on est inéligible?

ReutersL’Explication — En France, certains candidats inéligibles se présentent aux élections. Il arrive qu’ils soient débusqués avant — comme, pour les régionales de mars, en Auvergne — mais il arrive aussi qu’ils soient élus.

Pour être candidat aux régionales, il faut avoir 18 ans, remplir une déclaration de candidature, la déposer en préfecture et prouver qu’on est éligible. Mais les conditions pour prouver cette éligibilité sont telles que, même en étant inéligible, vous pouvez être élu.

Il y a deux cas dans lesquels une condamnation pénale entraîne la perte des droits civiques (donc l’inéligibilité):

1/ un fonctionnaire est mis en examen pour une infraction pénale, comme la prise illégale d’intérêt, ou un délit de favoritisme (ce sont les cas les plus fréquents, et la perte des droits est alors automatique).

2/ un citoyen quelconque (et non un fonctionnaire) a commis un délit très grave, comme des actes de barbarie, et alors le juge peut décider d’ajouter à la peine une perte des droits civiques. (Les peines telles que six mois de prison ferme pour «vol aggravé» dont a écopé Ali Soumaré en 1999 ne sont pas assorties de la perte des droits civiques.)

Vous pouvez par ailleurs être inéligible pour une élection précise: par exemple si vous vous présentez à des élections comme les régionales, et que vous n’êtes pas domicilié dans la bonne région. Ou appartenir à des professions incompatibles.

Casier judiciaire

Imaginez que vous êtes tête de liste aux élections régionales. Vous déposez votre liste auprès de la préfecture. Cette liste comprend, pour vous et les candidats de votre liste, une déclaration de candidature, les noms et prénoms, sexe, date et lieu de naissance, profession et domicile. Et  la preuve que vous êtes effectivement inscrit sur une liste électorale.

Si vous n’avez jamais été inscrit sur des listes électorales, vous devez aussi présenter un extrait de votre casier judiciaire (le bulletin n°3). Ce bulletin montre si vous êtes inéligible. Donc, théoriquement, cela suffirait à éliminer les candidats qui le sont effectivement, à la suite de condamnations pénales. Seulement vous pouvez aussi choisir, plutôt que de montrer cet extrait de casier qui joue en votre défaveur, de vous inscrire sur les listes avant de déposer votre candidature. Pour cette inscription, nul besoin de présenter un extrait de casier. Vous avez ensuite l’attestation montrant que vous êtes inscrit et avez contourné le problème.

Trop facile?

Comment est-il possible que vous soyez inéligible, et que personne ne le sache? Cela réside dans un flou juridique: les peines d’inéligibilité prononcées restent souvent non signalées, donc sans conséquence.

Exemple: vous êtes fonctionnaire et commettez ce délit qui vous rend automatiquement inéligible pour cinq ans (voir plus haut). Mais cette inéligibilité, qui peut être signalée à la préfecture par le tribunal qui vous a condamné, ne l’est pas forcément. Rien ne contraint le tribunal à le faire.

Lorsque vous déposez votre candidature, si vous êtes juridiquement privé de vos droits civiques, et que le tribunal qui vous a condamné ne l’a pas notifié, personne ne le sait. C’est ainsi que Jean Schuler, déclaré inéligible en janvier 2007, mais déjà inscrit sur les listes, et qui n’a eu donc à montrer dans son dossier que son domicile etc, n’a eu aucun mal à présenter son dossier de candidature et à être élu conseiller général en Moselle.

Vérifications

Les candidatures sont vérifiées par la préfecture. Pour les élections régionales qui se déroulent en ce moment, les listes devaient être déposées le 8 février. La clôture du dépôt était le 15 février. Le préfet avait jusqu’au 19 février pour valider la liste. Il ne vérifie pas le casier judiciaire de chaque candidat, ses vérifications sont, la plupart du temps, formelles: il s’agit de vérifier que tous les documents sont bien là, et qu’ils ne sont a priori pas falsifiés.

Les vérifications consistent, plutôt qu’à fouiller dans le passé judiciaire d’une personne, à déterminer si un candidat est bien domicilié dans la région où il se présente, si son domicile est avéré (qu’il ne loue pas un garage pour faire illusion). Si une tierce personne (c’est souvent un opposant politique qui s’en chargera) a connaissance de l’inéligibilité d’un candidat – soit parce qu’il a été condamné à une privation des droits civiques, soit parce qu’il n’est pas en règles (domiciliation, etc), elle peut en fournir la preuve au préfet (lui envoyer un simple courrier), qui pourra alors refuser la candidature. Dans le cas d’une personne inéligible célèbre, il est hautement improbable que sa candidature tienne. Dans le cas d’un Jean Schuler, ce fut en revanche possible.

Il y a aussi les cas d’inéligibilité ponctuelle. Cela a été le cas en Auvergne cette année: la préfecture de région a refusé la liste socialiste car deux des colistiers sont salariés d’une collectivité territoriale, ce qui les rend inéligibles aux régionales (pour des raisons de conflits d’intérêt). Mais certains candidats peuvent être de bonne foi: un professeur d’université, employé quelques heures par la région pour de la formation entre dans la catégorie «entrepreneur de services régionaux». Mais comme profession, sur sa déclaration de candidature, il indique professeur d’université. Le préfet ne s’aperçoit donc pas qu’il est inéligible. C’est ainsi que beaucoup d’inéligibles sont élus.

Si l’on se rend compte a posteriori qu’un inéligible a été élu, il y a un laps de temps pendant lequel l’élection peut être annulée. Ce délai est de dix jours pour les régionales.

Merci à Arnaud Pélissier, docteur en droit public,  et avocat au barreau de Lyon, et àDelphine Krust, avocate au barreau de Paris.

Charlotte Pudlowski

Image de une: Reuters/Philippe Wojazer